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6 mars 2009 5 06 /03 /mars /2009 18:03
Clint Eastwood est un monsieur, un grand monsieur. J’ai envie de dire : « Allez voir Gran Torino réalisé par Clint Eastwood avant de lire mon article, allez-y même si vous ne lisez rien dessus.»

J’aimerais dire combien ça me touche qu’un homme de 78 ans (qui a été si important pour ma formation intellectuelle, cinématographique, artistique, émotionnelle etc.) soit encore là à me transmettre quelque chose de si fort et si intense avec un tel talent. Cela doit être dur d’approcher la mort et il le fait avec une classe incroyable. Le dernier plan du film est génial : un peu d’ironie, la transmission : « Je laisse ma place parce que je l’ai décidé et avec amour. » Ouahouh !!!

Walt Kowalski (le personnage interprété par Clint Eastwood lui-même) fait un parcours incroyable en deux heures de film : il ouvre les yeux, il ouvre son âme, il ouvre son cœur : il s’autorise à vivre une aventure humaine avant de s’en aller : il se fait un très beau cadeau et en se faisant un beau cadeau, il fait un beau cadeau aux autres. L’autre jour, Nadja disait que la fiction n’avait rien de réelle et je n’étais pas d’accord en voyant le film hier : la fiction permet (entre autres choses) de vivre une expérience qu’on n’a pas vécu en vrai (ou qu’on n’a pas identifié en tant que telle) et de savoir ce qu’elle procure d’un point de vue émotionnel. En voyant Gran Torino, je sens (par exemple) ce que cela m’aurait fait d’avoir dans ma vie une figure paternelle qui me défend quand je me fais agresser par des hommes sauvages dans la rue, et va jusqu’au bout de la défense de l’honneur et bien plus que l’honneur.

Il y a donc deux dimensions au moins dans ce film : le contexte de Clint qui fait ce film à 78 ans pour nous dire quelque chose et ce que le film dit. Il revient sur un type de personnage qu’il a incarné depuis longtemps dans le cinéma et sur les critiques qu’il a entendues sur ce personnage et sa carrière. Il nous rend ce personnage en le transformant : dans la vie, on peut évoluer, on peut changer, on est plus complexe que certains critiques et journalistes ne peuvent l’envisager ! Eastwood le joue avec un putain d’humour et une putain d’intelligence ! Vous m’avez pris pour un facho amerloque et raciste et bourrin et désagréable ! O.K. je vais vous la faire à fond et je vais vous retourner comme des crêpes.

Quand on connaît l’œuvre de Clint, et qu’on l’a analysée (comme je l’ai fait dans ma jeunesse) et qu’on sait ce qu’on en a pu en dire dans le genre débile, c’est trop fort ! C’est la vengeance de l’intelligence, c’est le retournement de situation, c’est de la pure sagesse. J’ai attendu ces scènes du début de Gran Torino pendant des années. Qu’est-ce que j’ai ri !

Chaque scène raconte beaucoup, je ne saurai pas les détailler dans un article de blog. Clint fait donc le point sur qui il est dans le cinéma et il va plus loin. Il va jusqu’au bout : Clint est un homme et un artiste qui va au bout de sa vie et de son œuvre. Il ne nous lâche pas : c’est ça, la transmission. C’est pas : « Ok, j’ai fait des trucs et je vous lâche pour me construire une piscine à Los Angeles pour me faire sucer par des putes », tout ce cynisme-là. Il a une cohérence à sa démarcher artistique qui est extrêmement rare. Ce n’est pas ma grand-mère qui dit : « Ah bah c’est comme ça, on peut rien faire, puis moi j’ai fait ma vie peu m’importe’ la preuve qu’on peut faire d’autre chose : Clint Eastwood. On peut s’engager en tant qu’humain dans le processus de vie.

L’histoire du film va dans le même sens. Walt hait les Jaunes qui envahissent son pays et, un jour, il va un jour vivre l’expérience de l’instant présent en tant que telle, c’est-à-dire que vivre l’expérience telle qu’elle se présence avec une certaine innocence est une façon de sortir de la répétition des schémas, elle fait que Walt s’expose aux changements parce qu’il se permet une certaine liberté. Il fait le pas de côté parce que l’autre, en face, le fait aussi : la rencontre peut avoir lieu alors qu’hier elle était impossible.

Ce qui est très fort, c’est Clint qui a joué des justiciers et que, là à la fin du film, il inverse le schéma qu’il a souvent proposé. Il laisse la place à ceux qui viennent après lui, aux générations, au nouveau cinéma. Qui a dit que les gens ne changeaient pas. Walt change, mais c’est le propre de l’art de créer et dans la création, il y a bien l’idée de nouveauté, et donc de changement et d’ouverture.

Evidemment les cyniques et nihilistes vont trouver ça culcul et nian-nian etc. Chacun fait comme il veut. Et il y a de la place pour les cyniques et les nihilistes dans le monde, il y a même du boulot pour eux.

Clint ne nie pas la violence, le mauvais de l’Homme, la difficulté à être, la difficulté à assumer ses actes. Walt prend la liberté de vivre la liberté dans les dernières semaines de sa vie en prenant le risque d’être perturbé dans ses repères.

J’aime aussi l’idée sur l’étranger, sur l’autre, sur le différent. Il est faux de dire que c’est facile de ne pas être raciste. Ca fait bien de dire qu’on n’est pas raciste, mais qui a vécu l’expérience de l’étranger, du pauvre, de l’exilé ? Car aimer l’autre dans ce qu’il a de différent, accepter l’étranger est un des actes humaines des plus difficiles. Clint Eastwood se confronte à cette idée : les Etats-Unis sont un mélange de gens qui viennent d’ailleurs et pouvoir vivre ensemble, ça s’apprend, c’est un travail difficile. Ce n’est pas l’origine qui fait l’appartenance, mais le partage de certaines valeurs. Les fils de Walt ne sont pas les héritiers de Walt, les cousins de Sue la massacrent et la violent, le vieux et les jeunes, eux, trouvent un terrain d’entente, le Blanc d’origine polack va soutenir les Niakoués, et vice-et-versa.

Le travail sur le vocabulaire est très intéressant. On a tendance à faire comme si la différence n’existait pas, à ne pas prononcer le nom des couleurs et des origines, or je crois que la violence réside dans ces faux-semblants et ce faux politiquement correct. La violence se creuse dans le refus de voir l’évidence. Oui, ils sont jaunes et jeunes, et lui, blanc, vieux, alcoolique : nommer c’est le début de la reconnaissance. Oui, cela le fait chier que le quartier soit envahi d’étrangers bizarre. Oui, c’est sain queWalt l’exprime. Transmette, c’est aussi se dire les choses, exprimer ses émotions et apprendre les codes à l’Autre. D’où l’extraordinaire scène avec le jeune chez le coiffeur. Le rythme est lent. Le début frise l’ennui. Pourtant tout est construit vers un pic émotionnel très fort.

En tout cas, c’est comme ça que je l’ai vécu : j’étais un peu cool en me disant « Ah ce bon vieux Clint ! Sa technique anti-effet, à la limite du parti-pris antidramatique (pardon c’est un peu technique) qui fait penser aux films américains des années 70, c’est bien lui (parti qu’il n’avait pas pris dans L’Echange) » et pif’ je me suis pris l’émotion en pleine gueule quand Sue rentre chez elle après avoir été déglinguée par son cousin. C’est très court et là j’ai compris que tout le film avait été construit pour cette image de jeune fille fracassée, sacrifiée injustement. Faut être un grand metteur-en-scène pour arriver à cette construction antidramatique. Construire au millimètre près, au plan près, tous les plans précédents celui de cette fille marquée qui revient chez elle. Clint se rapproche des femmes en vieillissant. Il a beaucoup traité de problématiques masculines dans un cinéma bourré d’hommes. Bien sûr, il y a eu Josey Wales hors-la-loi (pur chef-d’œuvre où il parle plus d’un homme amoureux que d’une femme), Sous le pont de Madison, L’Echange (j’en oublie, désolée) et là… Gran Torino. La jeune fille Sue est extraordinaire : son personnage existe vraiment (c’est ça que je veux dire par un réalisateur qui s’intéresse aux femmes ; c’est qui leur donne des rôles d’humain ce qui est très rare !). Ce que j’aime dans ce genre de cinéma, c’est que c’est du cinéma. Ca montre ! la jeune fille qui rentre chez elle en sang, c’est un plan qui dit sans expliquer.

Inutile de dire combien je suis touchée par la fin, par la considération des figures paternelle et fraternelle qui disent : « Si on est humains, si on est civilisés, on ne peut pas laisser nos femmes se faire battre et violer. C’est la base. La base à défendre. » Et ce qui est beau, c’est que Walt va s’en remettre à la Loi : il va faire en sorte que ce soit la Loi qui punisse ces enculés. Une société qui ne punit pas les enculés n’est plus une société digne de ce nom, et une société qui passe par la Loi est presque une civilisation ! Walt a grandi : il ne tue plus des Jaunes comme dans sa jeunesse en Corée, il meurt pour leur honneur. Ouhaouh ! Il meurt réconcilié. C’est sa nouvelle manière de faire justice.

Quand la jeune fille en sang est apparu sur l’écran, j’ai explosé en sanglots et je sais pourquoi. J’ai su que la fiction peut réparer, ou plutôt réconcilier, quelque chose en nous. Si mes pairs n’ont pas fait les mêmes choix de société et de civilisation que Walt et Clint, d’autres l’ont fait en travaillant dessus pour que nous grandissions.

J’entendu quelqu’un dire que Gran Torino était un film violent. Je ne vois pas en quoi. C’est un film qui dit : « Il y a de la violence, il y a de l’immaturité, il y a le choix de pouvoir grandir, d’être libre et d’aimer, il y a une possibilité de régler la violence, de se réparer, il y a le choix de laisser sa place sur Terre dans un acte délibéré et conscient, il y a le choix d’être en communication et en communion avec Autrui, même s’il est jaune, vert, petit, jeune, vieux. Tout ceci est un travail, un hasard, un regard. Ce n’est pas tout le temps, toujours. » Ce qui est violent, c’est nier la violence réelle qui existe dans le monde : Clint Eastwood refuse ce déni. Comme il refuse de lâcher l’affaire tant qu’il est en vie. Tant qu’il est en vie, il veut être en vie. Et ouhaouh, il l’est ! En vie. Il sait qu’il va mourir, il sait que les Niakoués vont grandir, aimer, se réparer… Vivre.
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commentaires

A
Merci de cette super critique ,je n'ai pas encore vu le film mais je vais y aller en courant .Anne
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A
Merci de cette super critique ,je n'ai pas encore vu le film mais je vais y aller en courant .Anne
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