Je ne vais pas partir dans un commentaire de commentaire, qui me fait penser à l'injonction paradoxale de l'école de Palo Alto. Il ne faudrait pas que je le fasse. Mais je m'entraîne à jeter les "il faut" dans une grande poubelle. Miam ! Ouvrir les mains. Sentir le souffle de la liberté.
Je répétais souvent cette phrase au printemps : ouvrir les mains à ce qui vient. Sans savoir si c'est bon ou pas. SANS MEME LE QUALIFIER. « Il s’agit de vivre ce qui vient » comme l’écrit Rainer Maria Rilke.
Je marchais dans les rues et je les ouvrais.
Je ne comprends pas les impératifs en termes de bonheur. Je ne comprends pas les impératifs tout court. Je refuse les phrases qui commencent par « tu » quand c’est suivi par un jugement figé. J'ai assez potassé et expérimenté pour discerner que se détacher de la toupie est un long parcours et chacun, le sien. Lâcher-prise est une des choses les plus complexes à faire. Il ne s'agit pas d'indifférence, ni de détachement "le détachement, cette autre forme d'agonie" comme dit Krishnamurti). Nous sommes dans une société de la maîtrise, et même dans la maîtrise du bonheur et de la jouissance. Il faudrait être heureux ! Or nous le savons, le désir et la liberté, ce n'est pas le bonheur (merci Lucien Israël). Et bien sûr, le désir et la liberté sont hors-norme ; ils affolent la société bien-pensante parce qu’ils la mettent en péril. Oui, j’ai été en désir, oui j'ai été manquante, oui je suis un être humain. Il est où le problème ?
Il n’y a pas de problème.
Le désir emmerde pas mal les gens.
What the fuck !!!
Qui pourrait juger du chemin d'une personne ? Que savons-nous de ses abîmes, de son enfer, de ses jouissances ? Nous n'en savons jamais rien. Il est de l'ordre de cette humilité de savoir qu'on ne sait pas.
On donne des conseils quand on ne peut pas affronter la souffrance de l'autre (c'est ainsi que la communication non violente en parle et je trouvai ça très juste). Il y a à accueillir la parole de l'autre. Le conseil bloque l'écoute attentive. Il est encore une main mise. Il entrave la richesse, si souvent paradoxale, de la vie par une toute-puissance masquée.
Tout un chemin a été de ne pas me juger dans ma souffrance et même d'en oublier le mot. Je dirais même que je ne vois pas si c'est de la souffrance ou pas. Puisque tout est relatif. Qu'il s'agissait de le vivre. Eviter la souffrance, c'est fuir, bifurquer, c'est refuser de vivre intégralement et entièrement. C'est tout sauf lâcher-prise. Mais attention, je ne suis pas masochiste et je ne dis pas qu'il faut souffrir.
Me justifier, c'est le piège.
Et de toute façon, quand on voit, on voit, quand on ressent, on ressent. On est déjà de l'autre côté.
Je pense à Raphaël qui parlait du tragique dans l'écriture et l'art. A Biolay qui disait qu'on fait oeuvre d'art avec le tragique, aux phrases de Rilke au début de son concert (Les cahiers de Malte Laurids Brigge), un truc qui s'appelle le romantisme. Ah oui, ce n'est pas à la mode dans cette société où il faut être dur et sans sentiment.
On a parfaitement le droit de choisir (choisit-on ? L'illusion de la maîtrise...) le cynisme, l'indifférence, l'hystérie, la dépendance à l'héroïne. Je me vois mal faire un sermon à un alcoolique ; ça ne sert à rien. Ca ne fait que renforcer sa culpabilité, son non-amour de lui, son immense stress. C'est violent. C'est le renvoyer à sa faille qui fait qu'il boit ! Quelle empathie ! Mon dieu.
Aurait-il juste besoin de compassion ? Avoir confiance en sa propre capacité à l'autoguérison. Comme Ellen Page dans Inception. Elle sait que Dicaprio doit descendre dans le niveau inférieur. Elle a confiance en lui parce qu'elle a confiance.
Je me souviens de ces phrases qui commencent par "si". Si tu étais ainsi (donc autrement), je ou nous...
Il y a alors une sensation à la poitrine. « Si tu avais été autrement, je t’aurais aimée et nous aurions été heureux. »
Le donneur de leçons décrit par Jacques Salomé. De la violence à l'état pur. C'est subtil, ça s'infiltre comme l’injonction paradoxale de l’école de Palo Alto.
Ceux qui s'ouvrent à la vie disent ou plutôt expérimentent que tout est parfait ainsi, et que tout a été là au bon moment pour amener à ce moment. Que même moi, j’ai été comme je devais. Ne pas m'en vouloir. C'était le premier objectif. S'ouvrir, c'est s'ouvrir à tout donc aussi à ce qui fait mal, alors que ce que je vois souvent autour de moi, c'est le déni, le refoulement, la résistance, les mécanismes de défense. Oh oui ! On sait. Mais j'en suis encore étonnée. L'identification projective encore et encore. Le nez collé à la vitre.
J'ai laissé tomber le "si", j'ai dévoilé les illusions, je me suis ouverte à la vie il y a bien longtemps et s'ouvrir à la vie, c'est s'ouvrir aussi à la souffrance, il n'y a plus de jugement sur souffrance ou pas, bon ou pas, mauvais ou pas car dès que j'énonce l'un, c'est que je le définis par rapport à l'autre. Lutter contre la souffrance, ce n'est que la renforcer. Bla bla. Bien sûr, il y a de la souffrance. Tout dépend de comment tu la vis.
Ne pas se justifier, être le beau rocher.
Le droit à la vulnérabilité, le droit à son être romantique, le droit à la respiration, le droit à la mélancolie. Je crois que cette hyper émotivité (dont je parle parfois avec ma marraine Anne) est en effet peu partagée et que ceux qui ne l'ont pas ne comprennent pas et n'ont pas la possibilité de comprendre. Alors comment peuvent-il savoir pour moi ? Et finalement, ça n'a pas d'importance. J'eus vent que la compassion est rare.
Je me revois hier lutter contre le monstre dans la rue. Encore hier ! Je repensais à cet article de blog, à ceux qui ne savent même pas que cette maltraitance existe, ce que ça fait, qu’ils s’en foutent et que j’ai oublié qu’ils s’en foutent. Je me revois raconter à mon amie ce qui s’était passé l’après-midi et je la revois dans une entière indifférence. Et comme j’ai travaillé sur ça, hier cela ne m’a pas rendu triste. J’ai vu et regardé l’indifférence en face. L’insouciance de Tom et Daisy. C'est impressionnant !
Un ange-gardien m’a téléphoné pour s’assurer que tout allait bien (oui, quelque part j’étais en danger). Et cela m’a touchée. Oui, on peut changer d’alliés et il y a des alliés fiables ; la preuve. C'est la grande joie de l'épreuve.
Mon amie était totalement dans sa bulle. L’absence d’empathie, l’absence de curiosité. Moi, c’est ça qui m’a déjà tellement surprise : la non-curiosité vis-à-vis de l’expérience humaine. Ils vivent à côté de l'expérience humaine.
C’est impressionnant de se dire que tu peux être en danger en ville et rien ne bouge.
Ca va, j’ai été cool ! J'y arrive. Je me demande si ceux qui me font la morale pourraient vivre ça à ma façon ! Les mains dans le moteur.
Je me souviens de la psy qui disait : « Là, on parle de personnes qui vivent dans la terreur ! » Ils ne savent pas ce qu’est la terreur. Alors comment pourraient-ils me donner des conseils ? La terreur existe. Tous les jours, n'importe où.
Je me souviens toujours du fait que Frodon part à la fin du Seigneur des Anneaux, que Gatsby se tue, que Marcel survit à la mort d'Albertine.
Il y a ceux qui savent, celui qui a vu son aimée mourir. Mourir d'amour, ça existe dans la chair.
Ce que je trouve beau maintenant, c'est de ne pas justifier. D'être dans le coeur et l'ouverture. Ne pas expliquer. Entrer dans un étrange silence. Fière d'avoir identifiée l'injonction paradoxale genre "sois toi-même mais autrement", me parler d'amour alors que le vrai sentiment est "je t'aime tel que tu es."
C’est moi qui ai vécu ça.
Etre au monde tel qu'il est sans voir, sans s'ouvrir à tout de la vie. Sans illusions. Je connais peu de gens qui mettent les mains dans le moteur. "Nous revenons de Dachau" Et j'entends nos rires et nous vois sourire. Je me souviens d’un homme connu dont je sais qu’il a vécu des choses atroces et qui dit « Comment se réveiller le matin sans aimer ? » On ne va même pas leur expliquer Dachau car tu sais quoi ? Ils n'écoutent pas, ils n'entendent pas. I don't give a shit. Je vais m'autoriser à rêver.
Il y a ceux qui ont vécu, ceux qui ont traversé les limbes, ceux qui ont acquis l’épaisseur par les profondeurs.
Et ce ne sont pas forcément ceux qu’on croit.
En tout cas hier, après les "délires" d'un quelqu'un parti en toupie et quelques agacements que j'ai accepté, j'ai été accueillie. Vraiment.
C'est tout simple. Que c'est bon ! C'est juste ça.
Il n'y a plus de "peut mieux faire" que mes profs écrivaient sur mes bulletins scolaires. Phrase immonde car non, je ne pouvais pas mieux faire. Je faisais de mon mieux.
Il y a juste beaucoup d'amour à se donner à soi. Couche après couche, jour après jour. Remercier chaque jour et ne pas donner prise à ces critiques paradoxales.
Je laisse le paradoxe au tao. Je l'embrasse.
Je laisse les projections des autres, je m'aime de plus en plus, je laisse leur "si tu avais...", je respire. Ceux qui ne voient pas la joie en moi, qui ne voient pas le coeur allumé comme E.T., je ne peux rien faire pour eux. Surtout quand ce sont ceux qui en ont profité. Tiens, ça me rappelle quelque chose.
"L'Autre est celui qui me voit" comme Jacques dirait.
Voir l'autre tout simplement, sans le juger, sans le vouloir autrement. L'entendre. Cela me rappelle le grand Autre. Mon grand Autre. You know what ? I don't have any goal as a person.
Ceux qui ne voient pas l'énergie qu'il faut pour écrire... Pour accoucher d'un roman... Cette énergie-là qu'on va puiser dans des profondeurs où peu vont. Mon Dieu... J'y suis allée. Mais il y a des témoignages qu'on ne pourra jamais faire. Il faut faire ce deuil-là.
Alors c’est pour ça que j’aime me lover dans la musique de bb. Parce que « je suis négatif ».
Le deuil d’une reconnaissance pour entrer dans le flot de l’eau.
J'ai les mots de Fred dans ma besace. Ceux qui ont cru en moi. Parce que dans toute aventure, nous avons besoin de soutien, merci Clarissa. Ne pas se laisser envahir par le poison.
"Tout va bien" comme dit mon amie Sandrine.
Pour clin d’œil, je reparlerai des mots de François sur le tango, sur l’homme qui dirige et protège et la femme, attentive, qui accueille. Etre à l’écoute l’un de l’autre. Je ne vois pas beaucoup d’hommes qui…
Pour autre clin d’œil, l’autre œil, j’aimerais dire comme j’ai trouvé Angelina Jolie jolie et belle et impressionnante hier au ciné, où je suis allée en fuyant le monstre dans la rue… et étrange, c’est l’histoire d’une fille maltraitée.
Ah, pour finir, j’ai repensé les premières phrases du poème de Naomi Shihab Nye : « Avant que tu saches qu’est-ce qu’est vraiment la douceur, tu dois perdre des choses », j’ai pensé que ceux qui n’ont pas cette douceur sont ceux qui n’ont pas perdu de choses. En fait, c’est ça. Leur arrogance viendrait de là. Je me demande si quand on a vécu de la véritable souffrance, si on n’a pas de cette douceur bienveillante, du silence accueillant, de l’écoute attentive. Cette rare douceur.