C’est une sensation nouvelle, étrange ?, de rencontrer une personne qui nous touche (au sens émouvoir) quand on a perdu ses illusions. Est-ce ce calme dont Fred parle en commentant mes photos sur le blog ? Le lac tranquille et vide de Salt Lake City et mon visage quand j’étais allongée dans l’herbe alors qu’autour de moi, il y avait tant de tumultes. Fred voit la paix là où c’était la guerre, mais il a raison, c’était la guerre au dehors, mais pas dedans. Une paix avait fini par venir en moi sans que je la vois venir. Je ne sais pas même pas la définir, ni quel mot choisir. Je m'étais mis à chanter yafodé puisque je ne connaissais pas la signification de ce mot.
Quelque chose qui fait que je ne suis plus en guerre (indépendamment de la colère). Ca me rappelle un moment où je suis entrée dans la salle de bains de Bel-Ami et où il demanda à avoir une explication à propos d’un conflit et j’ai dit, debout, les pieds enfoncé dans la moquette : « The war is over » avec un tel aplomb qu’il m’étonna.
Je reviens à cette sensation étrange de rencontrer autrui quand on n’a plus d’illusions. Mêlé à de l’étonnement. Il est toujours intéressant de s’étonner, de rester dans cette posture. Car elle accueille la possibilité du nouveau.
Là où on m’a dit que je trouverai du dur, j’ai trouvé du doux (oui, oui, allez-y avec les métaphores, tu peux penser que c’en est une !)… Il y avait du doux en moi quand j’allais là,il y avait de la douceur de la part de l'autre, et en moi, bien sûr, une tendresse pour cette douceur revenue (comme c’est un miracle qu’elle soit revenue). Je sais combien l’autre peut manger cette douceur, la manipuler, la massacrer, l’utiliser, se moquer d’elle ("Ah oui, les sentimentaux, ces pauv’ cons qu’on peut berner, comme si l’esprit général était à l’agressivité, merci le capitalisme !").
J’ai pensé à Malik (Un prophète), à la douceur qui ne doit plus être polluée, au cynisme que je refuse comme poison, sans tomber dans la naïveté. Il y a quelque chose à créer entre les deux. Sans doute sortir de la morale dominante qui se prend pour une morale, qui pique des mots qui nous sont chers pour s’en servir, s’en servir pour nous assouvir. Trop de pervers utilisent ces mots pour nous approcher, camouflés dans leur cheval de Troie.
Derrière la douceur, j’ai mis des gardiens dont les pieds sont ancrés dans le sol, dont le cœur est juste et fort, qui veilleront à défendre la citadelle. De la conscience, de la clarté, de l’attention à ce que je ressens. Ca s’est mis en place à force de ramper parterre ! Je ne suis pas devenue une vampire à mon tour. Pas de ressentiment, mais de l’énergie pure. Une goutte de douceur est pour moi l’acte le plus révolutionnaire qui soit. Ce n’est pas un sentiment, c’est un état. C’est une force, c’est la puissance de vie, le désir sans objet de désir, le conatus de Spinoza, c’est ce qui me fait plus vivre. C’est en dehors de la notion de morale, du jugements, des raisonnements. Je ne te parle pas de ces gourous qui nous abreuvent de bons sentiments. Ca ne fonctionne pas comme ça.
L’autre jour, j’ai eu cette sensation qui m’a envahie comme le vent qui entre dans l’anorak et le gonfle. De façon inattendue. War is over.
Ma force, c’est d’être centrée, de rester dans mon axe, dans ma joie même quand la tristesse est là, dans le respect de la vie qui m’a été donnée, dans la conscience de cette improbabilité, de cette absurdité et d’en faire de la puissance pure, être barbare, moi sans attendre l’approbation de l’autre, laisser et oublier les mauvaises énergies, sans rancœur, sans rien dire. Ma victoire, c’est la conscience aigue du plaisir qui coule en moi, de me détacher des raisonnements tout faits, d’ouvrir le plexus là où ça m’a fait si mal.
C’est ne plus avoir peur quand il n’y a rien, quand il n’y a plus d’espoir, quand il n’y a que le ciel bleu sans nuages, le plat du lac qui fait des jolis ronds quand un galet fait des ricochets dessus. Le mouvement ne détruit pas le lac.
Ne plus avoir peur en état de nirvana, quand les mots n’ont plus le même sens (ce qui est perturbant pour un écrivain !). Ce n’est pas grave de ne pas comprendre, il y a quelque chose au-delà de la compréhension.
Là où je pensais que ça allait être dur, j’ai reçue de la douceur. Je l’ai prise avec moi, je l’ai regardée comme on ouvre un cadeau, ce fut comme être libre. J’ai décidé que quoi qu’il arrive, sachant que la douceur peut cacher de la perversité chez l’autre et que ce stratagème me fatigue. Je ne comprends pas à quoi ça leur sert d’être dans le faux, j’ai fini par comprendre qu’ils n’avaient pas la possibilité d’être dans le vrai, que ce sont des extra-terrestres pour de vrai, que la notion de promesse est utilisée par eux de façon très différente de ma façon de l’utiliser. Quand je fais une promesse, c’est plutôt que j’utilise le temps du futur au strict sens du futur, c’est-à-dire que je fais ce que j’ai dit. Bref… Je ne sais pas ce qu’est la douceur pour l’autre (elle peut être un masque, un cheval de Troie) mais je sais ce qu’elle est pour moi. Et comment savoir si cette douceur était vraie ou une tactique ou une feinte ? Je l’ai prise en moi et j’ai vécu l’émotion jusqu’à la corde jusqu’à ce que ça bascule dans une autre émotion comme lancée dans la course. Les masques de l’autre ne me concernent pas, car je danse par moi-même, que ce calme est mien et que je veux bien lui en parler, le partager, lui sourire. Et ça, personne ne peut me le prendre et je peux le partager à l’infini. La douceur, la vraie, est une révolution en notre monde.
Je sens l’énergie revenir en moi, je mets cette putain de chanteuse qui me fait kiffer depuis la semaine dernière, je danse et quand je tourne, l’écriture revient, c’est comme dire au revoir aux sales eaux, aux mauvaises voix qui sapent le moral (à coups de morale). Ca les fait chier qu’on jouisse : « Mais tu crois quoi ? Parce que j’ouvre ma bouche, parce que t’es venue dans ma chatte, t’as quelque droit sur moi ? Hahahahahhahahha !! » Parce qu’il y a quelque chose qu’ils ne m’ont pas pris, c’est justement cette douceur, c’est ma liberté de jouir. Et purée, ça se travaille.
La douceur n’est pas une monnaie d’échange pour dorloter un homme, FUCK ! La douceur, c’est ce qui vient après l’orage quand l’inspiration se fait et qu’on relève la tête en silence, et que dans ce silence, j’ai conscience de ma respiration, que j’ouvre les yeux et qu’au-dessus des cadavres, il y a l’horizon. Tu vois ? Cette sensation… Je suis entière, je touche mes membres, je suis entière alors qu’ils m’ont mise en morceaux. Quand je sors de la grotte, j’ai de la lumière sur le visage. Ma douceur vient d’un autre monde, elle a la force des survivants, des initiés, de ceux qui ont traversé les rites, étape après étape. Certains croiront sans doute que ma douceur est une faiblesse alors qu’elle est le contraire. On n’est plus le même quand on a été mort, quand on revient, quand on a vu la lumière. Ma douceur a la fermeté d’un noyau d’amande, duveteux et sec.
"No you cannot take my experience away,