J’ai réfléchi après une longue conversation avec quelqu’un qui dénonçait l’attitude de Dieudonné. Il disait que le ressentiment par rapport à son trauma l’avait conduit à des démarches critiquables liées au ressentiment qu’il ne surpassait pas en quelque chose de positif. Pour dépasser le trauma, il faut qu’il y ait reconnaissance du trauma. Or ce que certains dénoncent dans l’actuel sionisme, c’est d’exploiter le ressentiment vis-à-vis de la Shoah pour s’en servir politiquement à d’autres fins, comme détruire le peuple palestinien. Ce que certains reprochent, c’est de s’accorder le droit à mépriser l’Autre au nom de leur trauma. C’est la fameuse histoire des gens qui ont été des enfants battus qui battent leurs enfants. Beaucoup de Juifs (dont des Israéliens) sont conscients de ça et sont sidérés (excusez-moi d’enfoncer des portes ouvertes). Eux-mêmes souffrent de la politique israélienne. Ce que j’entends dans Dieudonné, c’est qu’il dit que le trauma ne peut pas fonder une politique. Le trauma ne donne pas des passe-droits, un traitement différent, un traitement de faveur. Or c’est le cas. J’ai un copain qui s’est fait taper par des Juifs (kipas) parce qu’il porte un T-shirt propalestinien devant des flics. Et les flics ne sont pas intervenus. Quand mon copain a été voir les flics, ils ont dit qu’ils ne pouvaient pas intervenir dans ce cas-là. Inverser la situation : vous avez un T-shirt pro-Tsahal, des Arabes vous tabassent. Imaginez la réaction des Keufs. Différencier la provenance de la victime, la sanctifier comme victime, la nommer victime est un procédé malsain utilisé dans le monde politique actuel. La dénonciation de la politique de Kouchner par Péan rejoint ça. Kouchner nous dit qui est bon, qui est méchant au nom du nombre de morts alors que la politique ne se fonde pas sur la morale. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi on n’a pas le droit de dire qu’on est en désaccord avec certains politiques de certains pays. Enfin, si, je comprends quelles sont les fins politiques, pourquoi Kouchner instrumentalise la douleur des peuples qui l’arrange et ignore d’autres, pourquoi le sionisme a utilisé la douleur de peuples pour dominer d’autres. C’est de la guerre, c’est la politique.
Quand Dieudonné veut faire un film sur la traite des Noirs et que le CNC lui répond : « Ce n’est pas un sujet de film », il a le droit d’être offusqué parce que cela renvoie à la non-reconnaissance. Quand les gars du Betar entrent dans un spectacle de Dieudonné en criant « Sale nègre », c’est de la haine. Et quand les journalistes n’accordent de l’importance à Dieudonné uniquement quand il sert la main de Le Pen, je ne sais pas comment ça s’appelle. Ce qu’il dit, c’est qu’il y a des gens qui haïssent les procédés de Le Pen (moi aussi rassurez-vous) mais parmi ces gens, certains adulent des gens qui utilisent les mêmes procédés que Le Pen (et ça je n’en suis pas ! J’essaie en tout cas). Oui, ces journalistes sont des charognards que le ressentiment est un fond de commerce pour tout le monde et pas uniquement pour Dieudonné. Il est même utilisé pour des « bonnes » causes, ce qu’on nous dit être des bonnes causes. Mais nous expliquer que les Serbes sont des génocidaires qui utilisent les mêmes outils que les Nazis, c’est un mensonge et c’est l’utilisation du ressentiment pour nous manipuler. Quand Kouchner prend le petit-déjeuner avec un président rwandais qui a tué des milliers de gens, ça ne choque pas les journalistes choqués par la poigné de main de Dieudonné. C’est ça le truc… Après la politique, c’est la politique et l’humour, c’est l’humour. Que chacun fasse son métier et basta. L’un, l’autre. Puisque c’est ainsi aujourd’hui.
C’est aussi de la haine de la part des journalistes qui ne cherchent pas à comprendre. Ne pas chercher à comprendre, c’est du mépris. Bien sûr, on pourrait dire à Dieudonné : « Laisse tomber, fais autre chose, tu alimentes la haine. » Je connais ces arguments. Si on pense que l’art vise à montrer le monde tel qu’il est, il ne peut pas occulter le fait de démonter les mécanismes qui font ce monde. Le sketch de Dieudonné sur les Pygmés est un bon exemple. Je n’ai pas les mots pour expliquer ce que ça m’a fait : il donne à voir un truc impossible à conceptualiser par sa façon de raconter, qui passe par l’humour. Et je respecte ceux qui donnent à voir. Par exemple, dans le même genre, quand un Juif raconte une blague juive (certaines peuvent très hard, crues sur eux-mêmes), c’est très drôle, parce que cela montre un certain recul par rapport à soi, une certaine lucidité sur l’humanité qui a souvent quelque chose d’absurde. L’humour peut être une soupape de sécurité. Et chacun a sa vision de l’humour, du drame, de la tragédie. Et vu que la politique met en rapport des forces, c’est compliqué. Si les uns ont une terre, un gouvernement, des lois, pourquoi pas les autres ? Je pourrais faire une longue liste. La politique est un combat des forces. Et nous sommes forcément en politique puisque nous sommes des animaux sociaux, nous les humains. Il n’y a pas d’ailleurs. Donc pour répondre à cette personne qui me disait qu’il voyait que je déraillais dans mon blog, je ne déraille pas parce que je parle de Dieudonné. Ou alors c’est mon droit de dérailler. Je ne suis pas pour le divertissement qui endort le cerveau des gens, je trouve que c’est aussi un acte politique malgré ce qu’on nous fait croire, et je pense qu’il est fort. Les marchands de non-sens ont une responsabilité.
Peut-être que j’aurais de l’énergie pour expliquer Boulevard de la Mort de Tarantino pour un autre pote qui m’a dit qu’il ne voyait rien dans ce film. La puissance du désir, la puissance de la liberté d’une femme qui sait le désir qu’elle peut susciter, la tension du désir, la tension de la sexualité, l’attrait de la femme sur un homme, la violence d’un homme sur les femmes parce qu’il ne peut exprimer sa pulsion sexuelle que dans la domination, la destruction, la vengeance des femmes sur la violence faite. J’ai rarement vu les femmes filmées comme dans les derniers films de Tarantino : elles sont belles, elles le savent, elles sont libres, elles assument, elles maîtrisent, on voit leurs vergetures, leur cellulite. Je ne sais pas quoi dire d’autre à part que c’est extrêmement rare, que cette rareté en fait sa préciosité. Ce film dit toutes ces choses. Peut-être que pour le pote, c’est rien de voir le désir d’une femme avec autant de vérité. Moi je trouve ça passionnant un artiste qui s’intéresse au désir et en l’occurrence au désir de l’Autre quand il est un homme. Et ça aussi c'est rare. Les personnages féminins intéressants sont rarissimes au cinéma (les actrices sont moins payées, elles tournent moins de scènes). Je suis curieuse de voir le désir à l’œuvre, décrypter, comment ça marche… Là où je vois le désir, le pote met le mot rien. C'est drôle car je n'aimais pas Tarantino pendant des années. Je m'engueulais avec les potes qui aimaient et maintenant, c'est l'inverse. Je n'entre même pas dans une discussion sur Kill Bill.
Je ne sais pas dire en quoi et pourquoi ça m'énerve et c'est là que j'ai un problème. Est-ce que je suis renvoyée à une non-reconnaissance qui est insupportable lié à mon lointain passé ? Est-ce si important que quand quelqu'un nous entende ? Si une petite fille dit : "le monsieur m'a fait mal" et que son père répond : "Non tu inventes une histoire", est-ce grave ? Et Pourquoi si oui ? Les Juifs sont bien énervés si on leur dit que les chambres à gaz n'existent pas. Dans le premier cas, c'est une plainte de petite fille qui s'en sortira quand le psy lui aura fait avaler la pillule vingt ans plus tard, dans le deuxième cas, c'est hors-la-loi et l'Etat paie des juges pour punir la calomnie.
Comme dit Fred, pourquoi ça nous énerve ? Pour élargir le début, pourquoi l'absurde nous énerve ? Sommes-nous trop moraux ? Devrions-nous être nihilistes et cyniques à la Houellebecq ? Qui dit "pourquoi on se fait autant chier avec l'humain qui se croit des droits, qui se croit une dignité alors que non ?" Ce serait plus simple que ça ? A quoi montrer le viol des femmes si tout le monde s'en fout ? C'est vrai, après tout, pourquoi s'en plaindre ? Je vais en finir là. A l'absurde, à l'humour, à devenir comme docteur House. Ceux qui veulent du non-sens, ils sont contents : on est baignés dedans. Du non-amour, on est baignés dedans. Quelle joie ! Il ne faut pas oublier pourquoi Socrate s'est fait condamner à mort. Parce qu'on en est encore là. Vraiment. Il ne faut pas oublier pourquoi il a accepté la condamnation, non plus. Quelle classe, quelle intelligence.
Quand j'ai vu Kill bill, j'ai tellement pleuré, c'était hallucinant. Pour moi qui ai tant été abreuvée de littérature, de cinéma qui ne parle quasiment que d'hommes, les héros sont des hommes, (on appelle ça l'homosocialité, j'en ai parlé il y a quelque temps) et qui ai donc été élevée comme un homme en quelque sorte (j'ai fait philo et cinéma : deux mondes d'hommes : j'étais en permanence en train de décrypter les oeuvres d'hommes), Kill Bill a été immense dans ma vie. C'était un homme qui disait : "Voilà ce que vous vivez dans l'ombre depuis des milliers d'années" et il montre une victoire, un combat. Nous étions sorties de Cendrillon. A part Tarantino, je ne vois pas trop d'autres réalisateurs qui envisagent des personnages féminins dans leur autonomie, qui les filment avec de l'amour, de la jubilation, du sens, de la rencontre.
Tiens, y’a Indigènes à la télé. Les acteurs ont eu un prix (Cannes ?) et ils ont été plusieurs à avoir un prix. Normalement, c’est un prix = un acteur. Mais là c’était un prix collectif. Ils se partageaient le prix. Bah en même temps quand on regarde leur couleur de peau, bon bah, ils valent bien un cinquième de prix, non ? Entre nous… Hi hi hi !! Quand on voit le sujet du film, c’est à hurler de rire. Alors on va me dire : « Tu es dans le ressentiment » ? ou on va me dire « Ha ha, tu as remarqué ça… Tiens, tiens, c’est étrange » ? Mais ce n’est pas moi qui ai remarqué ça, c’est une amie. Mais je ne l’ai vu écrit nulle part. Ca ne doit pas être politiquement correct.
Alors mieux vaut-il : serrer la main d'un connard d'extrême-droite ou celle d'un gentil monsieur de l'humanitaire (qui trafique de son côté) ? Cela me rappelle Pascal décrivant les demi-habiles, ceux qui se croient supérieurs sur la masse populaire parce qu'ils savent que Le Pen est un méchant. Peut-être Dieudonné est du côté de Pascal, encore faudrait-il qu'il trouve un Dieu qui le calme ? Ou alors il n'a pas envie de retourner la douleur contre soi comme le faisait en Pascal en se fouettant. Un truc est sûr : l'enfer est pavé de bonnes intentions.