François parla d'âge. L'amour me semblait si loin de tous ces calculs. J'ai marché sur d'autres chemins, je me suis clouée les mains sur des croix et je ne pleure pas de pleurer. Je me demande si ces deux hommes savent ce que les femmes subissent. Les hommes subissent mais ça je le sais puisque j'ai passé une bonne partie de ma vie à réparer des hommes. Qui furent ingrats... Parfois. François et Sébastien ne m'ont pas demandé ce que j'en pensais. Je trouve ça bizarre que les gars tripent sur les jeunes alors qu'entre 30 et 40 ans on a la maturité et l'expérience qui fait qu'on est meilleures au lit et ailleurs. Décidément on ne se comprend pas. François disait qu'il préférait les femmes de cet âge et celles qui avaient une âme.Là j'ai failli m'étouffer. Je crois que mon âme et mon intelligence ont toujours soûlés mes mecs et qu'ils me l'ont fait payer. Après cette discussion, j'ai eu une insomnie provoquée par l'angoisse. J'ai relu le mail de Naomi où elle dit qu'elle laisse de côté le contrôle et qu'elle essaie d'être simplement elle-même. Hier soir François m'a dit par texto de ne pas m'en faire et ce matin j'ai envie de partager ma découverte de l'album sublime de Bashung qui s'appelle "L'imprudence". Cela m'enchante et répare ce petit couic qui s'ouvre quand on parle de solitude. J'ai retenu la phrase du petit Thomas qui non content d'un de ses textes dit : "Je ne suis pas content parce que j'ai lâché." C'est ça ce truc de ne pas lâcher que j'admire, c'est tout un travail de ne pas lâcher, de tenir. Peut-être cela a rapport avec la sexualité. Faut pas que le mec nous lâche.
Il faut laisser venir comme dit Naomi, et accueillir ce qui nous pénètre quand le coeur est ouvert. Je dois encore travailler pour lâcher-prise (ce qui n'est pas lâcher). En marchant, Sébastien m'a dit que j'avais une image déplorable des garçons. Mais il ne m'a pas demandé comment cela se faisait. Et je me suis dit que je devais travailler la névrose qui est de reprocher aux gens ce qui n'est pas venu. Je me suis tue. Sagement. Car la plupart des gens ne veulent pas voir tes blessures, tes couacs, tes couics. Ils te veulent, mais ils ne veulent pas le trou. Souvent je me suis sentie décalée parce que je ne comprends pas ça. Je ne comprends pas comment on peut vouloir quelqu'un sans le vouloir entier. Même pour deux heures. Maintenant je comprends ce que je ne comprends pas, mais je ne le comprends pas quand même. J'ai mis un mot dessus, mais sous ce mot, ça reste flou.
En tout cas il n'est rien que je n'ai pas donné aux hommes qui ont été dans mon lit, en moi. Quand Sébastien a dit sa phrase : "C'est dingue l'image déplorable que tu as des mecs", j'ai vu l'étendue du sacrifice (en même temps j'ai connu des choses que peu connaissent, c'était mon choix de vivre intensément, même les catastrophes), j'ai vu qu'en effet quand tu as de l'âge, tu as des cicatrices et que derrière chaque cicatrice il y a des souvenirs de guerre. Les cicatrices ça ne les intéresse pas, pourtant la sagesse vient quand on recoud ses plaies. Avec la sagesse, on sait le prix des choses. On a touché la beauté avec la peau de ses doigts. Je me souviens de quelqu'un qui avait des cicatrices sur le visage et le corps, je les caressais avec douceur. Je n'avais pas peur de ses couics. Pourquoi avons-nous besoin d'empathie ? Comme ça. Pourquoi n'avons-nous pas le droit à la consolation ? Quand on a tant consolé, quand on a une telle capacité d'empathie.
Il y a Bashung, et son imprudence, la violence du printemps, les doigts sur le clavier, la dépression de la joie comme je dis. Je crois que je ne regretterai pas d'y avoir été même quand je n'aurai pas dû, de m'être brûlée les ailes à lutter contre les morts-vivants.
Je vais essayer de ne pas penser à ce qui n'est pas et vivre avec ce qui est (ah sacré Epicure !). Et faire avec le rien que les hommes aimés (entièrement aimés) m'ont laissé. Open hearted.
"Laisse venir
Tu perds ton temps
À mariner dans ses yeux
Tu perds son sang
Tel Attila
Tel Othello
Tu te noircis
Dans quoi tu te mires
Dans quel étang
À l'avenir
Laisse venir
Laisse le vent du soir décider
À l'avenir
Laisse venir
Laisse venir
L'imprudence
Tu l'auras toujours ta belle gueule
Tu l'auras ta superbe
À défaut d'éloquence
Tel Machiavel
Tel Abel Gance
Tel Guillaume Tell
À quoi tu penses
À quoi tu penses
À l'avenir
Laisse venir
Laisse le vent du soir décider
À l'avenir
Laisse venir
Laisse venir
L'imprudence
Tu perds ton temps
À te percer à jour
Devant l'obstacle
Tu verras
On se révèle
Tel Perceval
Tel Casanova
Tel Harvey Keitel
À l'avenir
Laisse venir
Laisse le vent du soir décider
À l'avenir
Laisse venir
Laisse venir
L'imprudence
Alain Bashung avec Jean Fauque, L'imprudence