J'ai même revu son visage. J'ai fait comme les dernières fois : j'ai respiré avec mon ventre pour que mes larmes ne ruissellent pas sur mes joues. J'ai senti le souffle d'air en moi et j'ai même ressenti de la joie là où cela faisait de l'émotion. J'étais émue et je pense que cela se voyait. Comme j'ai tué mon désir et que j'ai pris le parti de ne pas dire ce que je pense, je me sens protégée, mais comme étrangère à moi-même. Il a tué l'histoire qui commençait, elle est donc morte mais la vie continue. J'ai eu la sensation de la table rase : là où la liberté peut entrer. Je le regarde, je lui parle, je l'écoute : je suis là et je ne suis pas là. Je ne suis pas là parce qu'il a rejeté l'espace où je pouvais être en tant que moi : en désir, spontanée, naturelle et vraie. C'est dans cet espace que la rencontre aurait pu avoir lieu. Quand nous sommes en présence, cela glisse, la rencontre glisse. Ca échappe. Mais je veux vivre l'expérience pour apprendre. Il semble heureux de l'évitement qu'il a inscrit entre nous. Il a l'air heureux. J'ai envie de prendre un papier pour y jeter tout ce que je ressens sinon cela se comprime dans ma poitrine. Je comprime, il semble rassuré. Il me regarde vraiment avec ses yeux presque noirs. Je connais mieux son visage, même si je le connais à peine et que je le vois peu. Je lui répète que j'ai compris ce qu'il m'avait dit il y a quelques semaines. Nous ne serons rien l'un pour l'autre. Et dans ces cas-là je me demande toujours comment les autres font pour connaître l'avenir, maîtriser autant leurs sensations, leurs désirs, leurs affections, cadenasser ce qui pourrait surgir. Car lors de ce court échange je vois des choses qui pourraient surgir, aux aguets, pleines de vie, de légèreté, de rire. Mais il les bloque. Comment peut-il refuser ce qu'il y a derrière la peur puisqu'il ne sait pas ce qu'il y a derrière elle ? Dans l'espace de la rencontre, du nouveau, l'espace où existerait ce qu'il n'a pas pu imaginer, là où il y aurait création. Vous me direz que c'est parce qu'il est dans l'évitement. Alors je lui dis en le regardant vraiment que je respectais son choix. Car moi que puis-je lui dire ? Vu que j'ai conscience que ni l'un ni l'autre nous ne pouvons savoir ce qui pourrait arriver. Là où il n'y a pas de désir, il n'y a pas de vie. Je peux juste faire le choix de vivre ces courts instants où il me répète son évitement de moi.
J'apprends à essayer de ne pas comprendre. Que puis-je comprendre ? La vie, c'est plein de problèmes à traverser, plein de courage à se gober dans la tête pour avancer puisque nous sommes embarqués. Pour moi ce n'est pas l'esquive.
J'ai envie d'écrire des cartes postales avec des jolis mots qui feraient des jolies phrases. J'ai envie de le serrer dans mes bras pour triompher du mal qu'on nous a fait, pour que ce ne soit pas le monstre qui gagne. Mais le monstre a gagné. Je lui dis ce que j'aimerais qu'il me dise, je lui dis de ne pas avoir peur. Il dit qu'il n'a pas peur. Moi aussi j'aimerais parfois être comme lui : mettre un couvercle. Je veux profiter de la vie pour la vivre. Là où je m'en veux, c'est de m'annihiler face au non-désir de l'autre. J'aurais bien aimé ne pas esquiver l'esquive. J'aurais aimé être aussi comme j'étais avant parfois : surfant le désir en poupe. J'aurais aimé dire que je voulais le serrer dans mes bras pour gagner du terrain sur la liberté, soulever la chape de plomb, faire entrer le silence et être légers comme des bulles pétillantes. Et laisser venir l'inconnu pour le déguster.